Quelques extraits

Quelques extraits du livre "L'être sexuel - ou du rapport sexé", auteurs Angel Echazu, Catherine de Loeper, Paris, L'Harmattan, décembre 2015.
    
" [...] Quand on parle de sexualité dans la théorie psychanalytique, il ne s’agit pas de génitalité (dans le sens commun des choses), sinon d’un terme qui évoque une énergie mentale que saint Augustin a appelée libido, terme repris par Freud. Énergie mentale qui a amené Freud à décrire trois topiques : structurelle, topologique et dynamique.
C’est le destin de cette énergie que de nourrir la vie de l’individu jusqu’à sa mort.
La religion chrétienne pose la question du sexuel comme un concept fondamental. Ses conséquences en sont réglementées : le rapport sexuel n’est autorisé que dans le cadre du mariage, dans une seule position et dans un but de procréation. Il est auréolé d’une sorte de sacralisation et il n’est pas considéré comme légitime dans un but de plaisir.
Il est toujours associé à la peur et à la honte et il faut s’en justifier et rendre des comptes à une instance punitive." (p. 18-19)
 " [...]                                            La sexuation du social

 Sommes-nous dégagés de cet anathème contre la sexualité, maintenant que notre société a profondément changé ?
Institutionnellement, elle est laïque. Mais les symboles et les pratiques religieuses sourdent et pénètrent profondément les différents groupes et strates sociaux. Leurs manifestations publiques sont nombreuses.
Quel ce soit le pays où ils vivent et les lois qui régissent la vie en société, les êtres humains expriment leurs croyances, revendiquent au besoin leur appartenance religieuse. Que ce soit dans la rue, le quartier, l’école, l’administration, l’entreprise. Par le moyen de leur corps, leur coiffure, leurs vêtements, leurs habitudes de vie, leurs fêtes, leur alimentation, leurs magasins, etc.
Ils se regroupent et prient dans des édifices sacrés : églises, mosquées, temples, synagogues, qui peuvent devenir des espaces de tensions importantes ou même d’attentats. Les cimetières et les sépultures font aussi l’objet de profanations, de saccage et de destruction.
Les religions sont profondément structurantes pour les sociétés ; celles-ci en sont donc dépendantes, ce qui fait voler en éclats le concept de laïcité.
De plus, quelle que soit la religion, sa puissance symbolique la rend capable de définir les normes et les valeurs d’une culture bien au-delà des souvenirs que l’on a gardés de ses prêches et de ses prédications, mais aussi de la compréhension consciente que l’on en a. Elle nous est inculquée comme malgré nous.
Car elle est devenue inconsciente. Un inconscient collectif que l’on porte en héritage et qui surdétermine les structures mentales de chacun.
Les individus, les groupes, créent des lois, des règles, des sanctions en fonction des structures mentales individuelles. Ainsi, nous tissons nous-mêmes la toile qui nous rendra prisonnier : c’est la névrose collective. Inconscient collectif = névrose collective.
Français, nous sommes le produit d’une longue histoire marquée par la répression et la culpabilisation, en particulier du sexuel. Plusieurs historiens témoignent de ce que cette morale chrétienne pèse sur nos mentalités. Jacques Le Goff écrit : « […] cette morale chrétienne d'origine monastique, qui réprime la sexualité, est très lourde. Elle va perdurer pendant de longs siècles et pèse encore sur nos mentalités. En ce sens, nous sommes tous nés du Moyen âge. »
Jean-Louis Flandrin fait le constat « que nous avons des difficultés particulières sur le plan sexuel, et qu’elles sont imputables à notre morale traditionnelle, d’essence chrétienne. »
Il fait le pari que l’histoire peut avoir des vertus thérapeutiques, comme la psychanalyse, « en montrant les rapports qui existaient entre telle attitude ancienne envers la sexualité et tels autres traits, aujourd’hui abolis ou vivaces, de la culture occidentale, [l’histoire] devrait permettre de réapprécier notre système de valeurs, et par là de surmonter les difficultés présentes. »
Ainsi, pourquoi avons-nous mis si longtemps à trouver des moyens contraceptifs, alors que l’enfant n’était pas toujours le bienvenu dans notre société, contrairement à ce qu’il en est dans certaines sociétés africaines ?
Était-ce lié à des difficultés d’ordre technique ? Est-ce à mettre en rapport avec la morale de l’Église liant la légitimité de la sexualité à la procréation ?
Cela ne dépend-il pas tout simplement des croyances concernant la conception ? Si c’est Dieu qui permet que l’enfant se forme et si c’est lui qui lui insuffle une âme au moment opportun, « les conjoints n’imaginaient pas qu’il dépendît d’eux d’augmenter ou diminuer leur fécondité ».
S’il n’y a de paternité que divine, que symbolique, comme l’enseigne la Bible, comment serait-il possible d’interférer dans le processus ?
Jean Delumeau, spécialiste du christianisme, s’intéresse spécifiquement à la culpabilisation massive inculquée par la religion à propos du sexuel. La confession, rendue obligatoire, était souvent conçue comme un tribunal. Et l’Église n’a pas hésité à employer la peur et la menace pour que les paroissiens aient la volonté de se repentir et que les confessions soient faites dans les règles.
Rien ne devait être caché des plaisirs charnels. Non seulement ceux réellement vécus mais ceux auxquels on avait pensé.
Même ceux dont on se délectait en rêve étaient haïssables et donc à réprimer.
La sexualité fut ainsi débattue, réfléchie, pensée, mise en discours, écrite. Éternellement considérée comme point nodal de l’existence justifiant l’existence-même. La phrase : « Je pense, donc je suis » pourrait être : « Je baise, donc je suis. »
« Encore faut-il croire qu’on baise vraiment ? » Lacan.
La femme (objet de jouissance) y tient une place centrale.
Éternelle femelle dépendant de son père, de son mari, du Christ si elle est religieuse, bref, des autres, elle est vécue comme plus proche de l’animalité que de l’humanité.
L’homme a eu et a toujours beaucoup de mal à lui reconnaître sa place d’être humain.
Deux modèles de femmes coexisteraient : la Vierge-Marie pleine de grâces, idéal inaccessible. Et Marie-Madeleine, la putain, la courtisane repentie devenue disciple du Christ.
Celle qui est toute de pureté. Et celle qui est impure.
Saint Augustin, Maître de la chrétienté en matière de doctrine, justifia lui-même cette mauvaise image de la femme.
Il la décrit comme un être inférieur, esclave de ses sens et responsable des pulsions sexuelles des hommes.
Convaincu de l’importance du mariage, il professe que l’épouse doit tenter de ressembler à la Vierge-Marie, chaste et pudique.
Les prostituées, toutefois, sont absolument indispensables à l’équilibre du monde. Êtres inférieurs, méprisables, il convient de les circonscrire dans un espace précis afin que leur nocivité ne déteigne pas sur l’ensemble de la société.
Les autorités religieuses et laïques eurent tendance à adopter les recommandations augustiniennes. Aux 14e-15e siècles, un homme de la ville devait commencer sa vie sexuelle au bordel municipal. Celui qui ne le fréquentait pas éveillait le soupçon.
Au 19e siècle encore, le docteur Alexandre Parent-Duchâtelet, auquel on doit la théorisation des maisons closes, se référa à saint Augustin. En Europe, l’initiation sexuelle des hommes se fit quasi universellement dans ces lieux et tous venaient s’amuser au bordel.
Comme quoi une doctrine religieuse peut être bicéphale et inspirer le ciel et l’enfer en même temps.
Il y aurait même une spécificité française qui rend difficile de parler de sexualité sans parler du sexe vénal. La littérature pornographique, le coït interrompu (devenu la « méthode française » dès la fin du 18e siècle) et les maisons closes du 19e (le « système français »), firent connaître la France dans le monde entier.
Le « système français » s’exporta partout. Il attira aussi les riches étrangers à Paris : Édouard VII, quand il n’était encore que Prince de Galles, aurait eu sa chambre au Chabanais, la célèbre maison de grande tolérance.
Il fut aussi le produit d’appel utilisé par la Wehrmacht pour attirer et convaincre ses soldats durant la seconde guerre mondiale.
Encore à l’heure actuelle, la France serait le pays d’Europe où il y a le plus de clubs échangistes. Ils sont proposés dans le circuit parisien de riches clients étrangers.
Corbin s’interroge : « l’essentiel serait de connaître les facteurs psychologiques qui font que la France fut, tout à la fois, la patrie de la contraception et la grande Babylone prostitutionnelle. »
Dans le monde capitaliste d’aujourd’hui, on peut se spécialiser dans l’exportation du luxe, des armes et du sexuel.

La médecine ne fut pas à l’abri des croyances religieuses.
Comment l’aurait-elle pu ? Essentiellement en gardant une rigueur scientifique.
Or, nous savons depuis les temps anciens combien les sciences sont entremêlées à toutes sortes de croyances, à tel point que la science est devenue une croyance de plus.
La médecine, avec ses docteurs, a même joué un rôle moralisateur dans le domaine de la sexualité, accompagnant ou se substituant souvent aux théologiens.
La maladie est de l’ordre de la magie. Elle est vue comme un désordre psychique dû à des forces occultes. Principalement comme la conséquence néfaste du péché.
Objectivement, l’être humain a toujours eu du mal à admettre le corps biologique avec ses lois et ses désordres naturels. Il a existé et il existe une médecine parallèle qui relève invariablement de la théurgie.
On revient donc éternellement à des guérisons, à des explications chamaniques.
La psychanalyse s’est infiltrée à cet endroit-là. L’inconscient immanent surdétermine le tout ; rien ne lui échappe. Le Sujet de l’Inconscient, pris, tissé dans les confins de la parole primitive, se soumettra toujours à sa propre structure. « Tout est inconscient » Lacan.
Le médecin, prêtre manqué, a manqué aussi sa voie. Mais il s’est soumis avec jouissance à ce plaisir-là. Enveloppé dans plusieurs images, prêtre-chaman-médecin, il a su exploiter et asseoir ses pouvoirs.
Comment serait-il possible, en effet, de se détacher de la société de son temps, de ce qui a structuré notre rapport au monde, de cette volupté de l’aveu du péché de chair dans la confession afin d’en être libéré ?
Corbin détaille cette proximité entre le médecin et le confesseur lorsqu’apparaissent les prémices de la sexologie, au début du 19e siècle. Les patients souffrant de troubles des organes génitaux se présentent comme des pénitents à la confession. À moins que ce ne soient les médecins qui les poussent, tels des confesseurs, à admettre la nécessité de l’aveu et du contrôle médical de leur fonction génitale.
Les textes des maîtres de la Faculté ressemblent aux Manuels de confession. Le médecin cherche à obtenir des aveux « avec un ton et des procédures autoritaires » et prononce des injonctions qui ressemblent souvent à des pénitences.
Le but du médecin n’est cependant pas complètement le même que celui du confesseur. Même s’il apporte souvent une caution scientifique à certains mythes, comme le Dr Tissot qui déclare en 1760 que la masturbation rend malade, le médecin lutte contre la continence. Il ne valorise pas la chasteté, il sait combien le manque d’utilisation d’une fonction est dommageable.
Au tout début du 20e siècle, Freud fait une découverte fondamentale : l’interdit portant sur le sexuel est à l’intérieur de chacun d’entre nous.
La sexualité de l’adulte s’est construite dans un long cheminement. Elle porte en elle la censure de désirs infantiles refoulés. C’est toujours un compromis douloureux, voire une folie, que Freud appelle névrose ou psychose.
Car la charge affective des désirs refoulés depuis l’enfance continue d’agir. Et la lutte entre le besoin de réalisation de ses désirs et la censure qui veut les maintenir refoulés crée des conflits entre les différentes composantes de l’appareil psychique.
La construction théorique clinique de Freud est d’une extrême complexité. Son étendue et la bibliographique qui en résulte sont immenses. Il n’est pas question, ici, de réduire cette complexité en quelques mots.
L’interdit portant sur le sexuel dans notre société judéo-chrétienne, quelles que soient ses formes et son extension, est difficile à objectiver et à traiter. Nœud de dédales que celui de la parole éducative à donner à l’enfant et à l’adolescent, que ce soit celle des parents, des enseignants ou des éducateurs !
Freud, avec ses études et ses découvertes, nous permet d’ouvrir de nombreuses pistes de compréhension (p. 27-32) [...]